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Chronique de "Fugitives" de Tristan Alleman

Chroniquer un disque, ça va, c'est dans mes cordes, il suffit de condenser les impressions auditives, de les liquéfier en mots puis d'y rajouter quelques références, des aspérités solides en quelque sorte, afin que les gens s'y agrippent dès que les sons tournent à l'étrange… Et le tour est joué. En somme, l'espace de quelques lignes, on s'amuse au jeu subtil des trois états de la matière.

Alors que parler d'un livre, et donc partir à l'abordage de mots muni juste d'autres mots, c'est un peu comme se mesurer à la loyale sur un même substrat médiatique. Il y a un risque réel de déconfiture.

C'est un fait, les auteurs et les chroniqueurs boxent rarement dans la même catégorie, et, je l'avoue, la chronique littéraire est un art périlleux que je ne maîtrise que modérément...Une évidence à laquelle je n'avais que très peu songé jusqu'à présent.

 

C'est parce qu'on fréquente le même resto que je les ai rencontrés tous les deux, le livre et Tristan.

Et c'est parce que c'est dans les derniers retranchements du premier que le second parle des musiques qui lui inspirèrent l'élaboration du bouquin que je suis passé à l'achat, sans même en lire une ligne… Vous suivez ?

 

Fugitives, c'est un recueil d'une petite trentaine de nouvelles, un ensemble de messages éthérés, de poésies à ce point libres qu'elles se passent de vers(en cédant parfois à la tentation de l'alexandrin), un catalogue d'états d'âme parsemé de thèmes récurrents , véritable amoncellement de dénominateurs communs qui s’attellent au fil des pages à sceller l'ensemble... L'eau et le vent, l’apesanteur et la fuite, l'obscurité et l'aube, la liberté et la mort, le corps féminin et l'amour, la course et le pas, l'envol et la chute...

L'image de couverture, prosaïque et glaiseuse, s'efforce bien au départ de brouiller les pistes, mais son rôle majeur est de servir d'avertissement, par ses multiples lignes de fuite et ce lointain brouillard humide, elle prévient le lecteur qui se déciderait à pénétrer le livre que plus il avancera, moins ferme sera le sol sur lequel il pensait marcher avec aplomb la page précédente encore.

Fugitives, le mot qui sert de titre, est quant à lui lumineux de sobriété, usant avec justesse de sa féminité plurielle et de sa polysémie pour imprimer au reste du livre les deux notions maîtresses qui lui servent de fils d'Ariane… La fugacité et l'évasion.

On frôle même à l'occasion les territoires d'un Jorge Luis Borges lorsque les situations tanguent entre fable incertaine, conte absurde et fiction tragique… C'est dire...

 

Morceaux choisis…

« Alors on a envie de pleurer, mais on se retient, on est un homme, un humain mâle. »

 

« Il était à l'air libre. Libre… Qui de l'air ou de lui serait le plus libre ? »

 

« L'ignorance du temps qui me frappe est merveilleusement significative. Perdant toute identité, toute empreinte digitale de pensée personnelle, un éclatement de mon corps me mène au rang des étoiles les plus belles, les plus brillantes. »

 

 

Et oui, d'ancrés au sol, les textes deviennent volatils, se déstructurent et se libèrent, explosent et se dissolvent dans l'infini, mais pas l' éblouissant, le paradisiaque... Non, l'autre, le sombre, l'enténébré.

Celui-là même d'où germèrent les mélopées anxiogéno-oniriques de Dead Can Dance , Klaus Schulze, et autres Steve Reich.

 

D'ailleurs, Tristan les évoque, en fin de livre. Certes, ces morceaux ne sont pas coupables à eux seuls de la rédaction de ses écrits…

Ils en sont néanmoins à la fois de notables catalyseurs et de fidèles compagnons de route.

Et s'il n'y avait qu'un fragment à retenir, ce serait Homme et chapeau. Tout ce que l'humanité doit savoir sur elle-même et sur sa condition, compacté en quatre pages.

Un texte qui aurait la forme d'une petite pièce aux murs parsemés d'une multitude de portes… Portes que l'auteur ouvrirait promptement , presque simultanément, le temps de quelques phrases en fait, en murmurant, un sourire narquois au coin des lèvres...

« Et maintenant, démerdez-vous ! ».

http://staycurious.over-blog.com/2018/07/l-evasion-fugace.html

 

Tag(s) : #Articles
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