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Trois lectures-critiques à, propos de nos livres, merci! De beaux encouragements pour les auteures publiées!
Soif de vie est un recueil composé de cinq parties, chacune introduite par une citation, comme épinglée pour révéler la démarche poétique de sa jeune auteure publiée pour la première fois. Une première fois, c’est quelque chose. Cela se raconte.
Après une rencontre avec l’écrivain et éditeur Daniel Simon lors d’un atelier d’écriture, Géraldine Jamart, philosophe de formation, a pris confiance en elle pour opérer un tri parmi de nombreux poèmes composés durant une dizaine d’années. Ces textes ont été rassemblés et réorganisés par thème, avec entre autres : la question du deuil, de l’enfance, la nature et l’intention poétique dans l’écriture. Comme bon nombre de poètes, la marche fait partie intégrante de son processus de création. L’un ne va pas sans l’autre. La présence de mots tels que « randonnées », « chemin », « marche », « trajet » renforce l’idée de mouvement.
L’expérience de la marche conduit vers l’écriture et le travail sur la langue. Depuis qu’elle a sauté le pas, l’auteure écrit de plus en plus. Souvent, lors d’un déplacement, à pied, mais aussi parfois en train, une phrase résonne. Le début du poème surgit. Elle n’écrit que de la poésie. C’est là où elle se sent la plus authentique. Où elle touche à la simplicité recherchée, à une certaine limpidité. Un lieu d’inspiration domine, celui de la mer et ses plages d’Ostende. Un point commun à partager avec d’autres auteurs belges. La photo de couverture représente un homme couché sur le sable plantant un arbre devant la mer, de manière un peu étrange, voire surréaliste. Celle-ci traduit bien sa « soif de vie » :
Il a planté son arbre,
dans le sable humide.
Les cerfs-volants se sont couchés,
les amoureux de passage,
emportés par les vents.
Devant la mer,
l’arbre et l’homme sont entrelacés.
Pour Géraldine Jamart, écrire un poème, c’est « donner une valeur à ce qui est vécu ». L’écriture, comme un autre lieu pour vivre autrement chaque instant. À l’instar d’un William Cliff (également grand poète de la marche) qui pense que ce qu’il est en train de vivre vaut au moins un poème, elle scrute les brèches de « nos vies passagères » pour « retenir l’instant » en l’écrivant.
- Géraldine JAMART, Soif de vie, Bruxelles, Traverse, coll. « Carambole », 2014, 72 p., 10 €
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Que reste-t-il des utopies de mai 68 et de l’espoir d’un monde meilleur qui semblaient être le dû de la génération née au lendemain de la seconde guerre mondiale ? Voilà une des questions que se pose à travers ses fictions Marie Bruyns. La plupart de ces dix-sept nouvelles explorent avec humour et lucidité notre monde vu par des personnages vieillissants. Malgré son titre en clin d’œil au célèbre film d’Alfred Hitchcock, il n’y a ici aucun voyeurisme, juste des brèves d’un temps où l’amour est bancal mais le désir toujours aussi intense…
Les baby-boomers vieillissent bien. Bien sûr, les touches de leurs gsm sont trop petites pour leurs mains et les modes d’emploi du chauffe-biberon de leurs petits-enfants sont trop souvent illisibles ! Ailleurs, une mère déplore que son fils émigré au États-Unis ait perdu sa cédille et s’appelle désormais Francois… Mais ces personnages ne sont pas, loin de là, des réactionnaires. Marie Bruyns brosse dans ces courtes nouvelles des portraits, des moments de vie, des journées où tout bascule pour des gens ordinaires. À cause de la maladie, d’une rencontre, d’une indignation, d’un baiser…
Avec un ton et des dialogues réalistes qui savent combiner ironie et empathie, l’auteure dessine des héros du quotidien portés par une belle foi en l’homme. Une nouvelle exemplaire parmi d’autres est celle qui montre une étudiante sur le point de découvrir à l’école l’Art d’aimer d’Ovide, tandis qu’elle va subir un avortement à la sauvette dans la Belgique des années septante. Les fenêtres de Marie Bruyns, si elles donnent sur les cœurs, n’ignorent ni les revers du sexe ni les drames de la vieillesse. On est surpris par la panoplie des thèmes que l’auteur met en scène : le viol d’une quinquagénaire, la dépression d’un médecin, le plan cul d’une executive woman, ou encore les déambulations urbaines d’un vieux beau octogénaire…
Paru dans une collection joliment baptisée « Lentement », Fenêtres sur cœurs est une réussite qui donne envie de lire et de garder à l’œil cette pétillante gynécologue convertie à l’écriture.
- Marie BRUYNS, Fenêtres sur cœurs, Bruxelles, Traverse, coll. « Lentement », 2014, 168 p., 16€
Dans ce premier livre, largement autobiographique, Agnès, la narratrice, à l’instar du Chat de Prague, croisé dans le cinéma tchèque, a pour programme de saisir l’essence des gens qui l’entourent et d’attribuer une couleur à tout et à chacun. C’est à ce jeu, de peindre des destins, qu’Agnès, à tous les âges de sa vie, ne se lasse pas de jouer. La première section, « Sinon l’enfance » raconte le rapport privilégié qu’elle entretient avec un père disparu l’année de ses quinze ans. La narratrice évolue là dans le vert paradis de l’enfance, les jeux, un vaste imaginaire et la découverte des mots… C’est « l’heure des rêves et des raisins », car Claude Martin a des formules heureuses qui ne sont pas sans évoquer Colette… Malgré la qualité et la poésie de l’écriture, on déplorera, dans la suite de ce petit livre, trop de personnages secondaires qui se bousculent, se multiplient et quittent la scène à peine esquissés. Si Claude Martin fait avec compassion et nostalgie le tableau d’une certaine bohème bruxelloise peuplée de peintres et de comédiens, de leurs amis, de leurs amours et de leurs emmerdes, il en résulte un véritable kaléidoscope amoureux, parfois étourdissant, quelquefois décousu. Le chat de Prague, s’il perçoit les couleurs des âmes, en restitue les nuances avec un bonheur inégal… D’Agnès elle-même, à l’âge adulte, le récit ne nous apprendra plus beaucoup, sinon qu’elle aura un fils, nombre d’aventures sensuelles et platoniques et un mas en Provence. Le portrait des années d’enfance et d’adolescence était moins pudique et plus abouti.
Ces récits, comme aussi les nouvelles de Marie Bruyns, sont issus de l’atelier d’écriture de Daniel Simon. Et c’est une bonne chose que ces écrivants deviennent peu à peu des écrivains et puissent voir leur travail prendre la forme de livres.
Le récit s’achève avec grâce par un clin d’œil au poète Henri Pichette et une sereine « Pause avant la fin », qui conjugue la proximité de la mort avec l’amour de l’humanité. Un beau message de vie sous une plume qui se cherche encore…
- Claude MARTIN, Le chat de Prague, Bruxelles, Traverse, coll. « Lentement », 2014, 140 p., 14 €
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