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Olivier TERWAGNE, L’automne en juillet, Bruxelles, Traverse, coll.Carambole, 2023
Regard sur le passé pour jauger le monde d’aujourd’hui

Comme il adore jouer avec les mots et que sa démarche est en général originale, Terwagne prend la
précaution d’avertir ses lecteurs. Dès le titre, son livre est de l’ordre du surprenant « L’automne en
juillet ». Il le justifie en ayant recours à l’historique de la langue française : automne est un substantif
qui n’existait pas autrefois pour indiquer le passage de l’été à l’hiver.
Notre auteur précise son parti pris en accordant à sa première partie le statut de prequel, substantif
récent emprunté à l’anglais et au latin dont la signification est « œuvre écrite auparavant mais
publiée après une œuvre composée plus tard », ce que les québécois appellent « antépisode »
lorsqu’il s’agit d’une série télé ou d’un épisode dans un film.
Toujours féru de langage, Terwagne adore jouer avec les mots, en offrir d’inconnus ou en créer de
néologiques, les couler en métaphores, en proposer la mélodie grâce à des consonances complices. Il
ne dédaigne pas, mais sans forfanterie, nous régaler avec des vocables découverts çà ou là dont la
musicalité le réjouit : à commencer précisément par la musique du thérémine ou de la paraclèse,
pétrichor et son odeur, triquètre, épocale, noétique ou le laptop informatique, voire le cotonneux
futon…
S’interrogeant à propos de sa vie, Terwagne, auto-défini comme « antique moderne / caduque et
d’avant-garde » ou encore comme « chroniqueur vivaldien de nos petites semaines », jette sur le
monde qui nous entoure un œil plutôt désabusé tout en s’interrogeant : « faut-il dresser le portrait
du temps / présent et dénoncer ses corruptions » ? Son inventaire critique énumère : « avènement
des nations libérales, mécanisation du réel, numérisation intégrale, simulacre et tyrannie de
l’éphémère ». Tout cela qui, selon lui, se situe « entre guerre froide / détente, dégel, guerre fraîche /
libéralisation et transparence. »
Il suggère de « se libérer des urgences / du monde pour travailler / clandestinement / à l’élaboration
de /nouveaux regards ». Il se demande si le rôle de l’écrivain ne serait pas de « se dire que la
narration / nous sauvera de la perdition ». Il dresse le double portait de femmes d’aujourd’hui mises
en parallèle. D’abord, ancrée dans son terroir « la fille de la rue l’orée du bois » qui crée elle-même
son emploi, se soucie d’écologie, cuisine des plats naturels, n’a pas foi dans le « mythe de la
Croissance, vit sans réseau / ivre de livres de poésie. » Ensuite, «  la fille de l’ambassadeur » qui est
apatride, préfère l’inaction. En interférence de ce duo féminin, esquisse de l’autoportrait de
l’écrivain, fils de paysan.
La deuxième partie du livre prend l’apparence de la prose sous l’intitulé « Impromptus
générationnels » où défilent des pensées livrées en vrac. Le constat initial est que, sous l’afflux des
données incommensurables téléchargeables, face au développement de l’intelligence artificielle
« Nous n’avons jamais été aussi près à nous débarrasser du libre arbitre ».
Se mêlent souvenirs, réflexions et témoignage. Ce sont aussi des considérations à propos d’écriture
et donc de littérature, aussi à propos d’événements puisés dans le dernier quart du XXe siècle car ce
qui est capital sans doute c’est « Saisir l’époque demeure une nécessité. Avant de balayer ce présent

trop insistant, trop harcelant. » Des rituels immuablement programmés sont détaillés. La grande fête
religieuse de l’Assomption suscite des commentaires. La consommation lancée par la rentrée scolaire
se ressent boostée par d’autres célébrations consuméristes : Saint-Nicolas, Noël, Saint-Valentin.
Une des conclusions est que « nous passons de l’homo-zapping impatient, avide de contenus
compressés, esclave du temps court, blasé, aigri, addict à l’éphémère, à la nouveauté qui balaye et
s’adresse à des petits alzheimers sédentaires avant l’heure. »
Retour au poème en dernière partie dénommée : « séquelles ». C’est là que s’épanche Olivier
Terwagne. Il se dit à lui-même « tu vis d’erreurs / d’air et d’eau claire / passé maître dans l’art / des
choix de seconde main » et s’interroge : « que faire de ces mots que l’on greffe / en urgence / comme
des points de suture », lui qui a « toujours mis un x à / Dieu ».

Michel Voiturier

Nos Lettres n°51, , Bruxelles, A.E.B., 2024, p.73-75

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